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SAMEDI 16 OCTOBRE 1999
Tirage du Monde daté vendredi 15 octobre 1999 : 535 813 exemplaires. 1 – 3
Naissance au Japon
de la deuxième banque mondiale
TOKYO
correspondance
Les banques commerciales japo-
naises Sumitomo et Sakura ont an-
noncé, jeudi 14 octobre, à Tokyo, la
formation d’une alliance straté-
gique devant déboucher sur une
fusion complète des deux établis-
sements d’ici à avril 2002. Selon le
critère du total de bilan, le nouvel
ensemble se situerait au deuxième
rang mondial, derrière le holding
nippon Fuji-Dai-Ichi Kangyo-In-
dustrial Bank of Japan, et devant
l’allemand Deutsche Bank. Sumi-
tomo et Sakura vont nouer dès
cette année des liens capitalis-
tiques et harmoniser stratégies et
procédures dans un certain
nombre de domaines. Elles pré-
voient de supprimer 3 000 emplois
et de réorganiser leur réseau dans
les deux années qui suivront la fu-
sion. D’ici là, les établissements
mèneront à bien leurs plans res-
pectifs de restructuration devant
se traduire par la suppression de
6 300 emplois et la fermeture de
183 succursales, dont 32 à l’étran-
ger.
La fusion Sumitomo-Sakura ac-
célère un peu plus la consolidation
du secteur bancaire nippon. Alors
qu’elles étaient au nombre de neuf
il y a deux ans, les banques
commerciales japonaises ne seront
plus que cinq.
Et le mouvement a peu de
chances de s’arrêter là. Le nouveau
mariage, s’il met en présence des
familles rivales, en l’occurrence les
groupes Sumitomo et Mitsui, est
considéré comme plutôt complé-
mentaire : la banque Sumitomo est
depuis toujours très présente dans
la région du Kansai, et la banque
Sakura est plus forte à Tokyo. En
outre, le groupe pourra compter
sur une banque de fiducie très
forte, Sumitomo Trust, et un parte-
naire de premier ordre dans le
courtage, Daiwa Secutities, auquel
la banque Sumitomo est alliée.
« Sumitomo est probablement la
plus rentable des banques japo-
naises, alors que Sakura est très af-
faiblie. On peut s’attendre à ce que
Sumitomo oblige Sakura à se res-
tructurer plus drastiquement. En
termes de capital, le rapport est
quasiment de un à deux, c’est en fait
une acquisition virtuelle de Sakura
par Sumitomo », estime Yushiro
Ikuyo, analyste chez Commerz Se-
curities.
Dans les milieux bancaires, la
santé de la banque Sakura fait de-
puis un certain temps l’objet de
spéculations : la banque serait ac-
tuellement auditée par l’Agence de
Supervision Financière, qui pour-
rait mettre au jour de nouvelles
créances douteuses. Notamment
pour cette raison, la banque San-
wa, récemment approchée par Sa-
kura, aurait décliné une offre d’al-
liance. L’an dernier, Sakura avait
même pressé Toyota, l’un des pi-
liers du groupe Mitsui et l’une des
entreprises les plus saines financiè-
rement, de la soutenir.
Cette nouvelle fusion aura des
conséquences sur l’organisation
des groupes Mitsui et Sumitomo,
deux des six grandes nébuleuses
industrielles japonaises : l’un des
objectifs annoncés par les deux
banques est de dénouer leurs par-
ticipations croisées. En outre, « ces
deux groupes sont archi-rivaux dans
la plupart des domaines : Mitsui Life
et Sumitomo Life dans l’assurance-
vie, Mitsui Busan et Sumitomo Corp.
pour les maisons de commerce,
Toyota et Mazda dans l’automobile,
Toshiba et Nec dans l’électronique.
J’ai peur que cela prenne du temps :
du jour au lendemain, ces compa-
gnies apprennent qu’elles vont de-
voir trouver des terrains d’entente.
Logiquement, elles seront obligées de
se regrouper », analyse M. Ikuyo.
« Avec une différence : le groupe Su-
mitomo est très structuré. Sumitomo
Bank joue un rôle pivot et les
compagnies du groupe suivront les
instructions de la banque. En re-
vanche, Sakura Bank a perdu son
rôle central au sein de Mitsui. Les
liens sont de plus en plus distendus
et certaines sociétés comme Toyota
sont plus indépendantes. »
Brice Pedroletti
Le cobra à prions
par Pierre Georges
AINSI VA LA VIE, dangereuse,
des charmeurs de serpents. Le plus
connu d’entre eux, en Thaïlande, a
été mordu à la jambe droite, par
son cobra vedette, un joli petit
animal de trois mètres avec lequel
il simulait un combat de boxe.
Show must... Lod Pramuang, 59
ans, a assuré le spectacle brave-
ment. Puis il s’est précipité en cou-
lisse, a absorbé un breuvage
d’herbes médicinales, souverain
contre le venin, et est mort, peu
après.
Pourquoi, cette histoire sans
queue ni tête ? Simplement par
association d’idées, une sorte de
rapprochement bancal, entre le
cobra thaï et le célébrissime bœuf
anglais. Car, s’il est bien un pro-
blème venimeux, ces temps-ci,
c’est bien celui qui empoisonne les
rapports entre agriculteurs britan-
niques et consommateurs fran-
çais. Pour avoir fait, un temps, de
leurs bovidés, des carnivores, éle-
vés à la bonne vieille farine ani-
male de derrière les fagots, les éle-
veurs insulaires, comme piqués
par la vache folle, ont failli trépas-
ser. L’Europe entière a boycotté,
dans un temps, cette viande
comme dopée.
Le châtiment, donc, était dans le
crime. Du moins dans la faute. Et
à supposer que ces débordements
aient été la conséquence d’un libé-
ralisme complètement débridé et
sans scrupules, qu’en somme le
Royaume saisi par la frénésie du
profit ait laissé faire n’importe
quoi pour devenir tragiquement le
pays des bœufs fous regardant
passer les trains fous, les domp-
teurs de farine ne l’ont point volé.
Mais il reste que depuis les éle-
veurs britanniques ont fait tout ce
qu’ils pouvaient et tout ce qui leur
était demandé pour éradiquer
l’encéphalite spongiforme bovine.
Les cas de vache folle qui se
comptèrent par centaines de mil-
liers sont encore trop nombreux,
un peu plus de mille cette année
en Grande-Bretagne. Mais de fait,
l’épidémie semble enrayée, et les
précautions sanitaires exigées sont
prises.
Voilà bien pourquoi, au terme
d’une douloureuse repentance, les
agriculteurs britanniques veulent
revenir sur les étals européens et y
placer leurs quartiers de bœuf,
comme parts de marché. Ils le
peuvent d’ailleurs puisque l’em-
bargo sur la viande britannique a
été levé partout en Europe. Par-
tout, sauf en France officielle-
ment.
La France en effet dit non. Tou-
jours et encore non, obstinément
non. Principe de précaution, affir-
ment les Français, fondé, on le
sait, sur un rapport défavorable
d’experts scientifiques. Pratique
de protectionnisme, déplorent les
Britanniques, prêts désormais aux
pires représailles.
Bref, la guerre du bœuf menace,
féroce et sans merci. Les tabloïds
anglais tirent à vue sur tout ce qui
est français, une seconde nature
chez eux. Le prince Charles, les
ministres de Tony Blair l’un après
l’autre, montent au front, dé-
plorent, menacent, exigent, garan-
tissent. Les produits français font
l’objet déjà de boycottage. Et l’ar-
bitre bruxellois se donne le temps
de réfléchir dans ce dossier où,
manifestement, un expert chasse
l’autre .
Qui a raison, qui a tort ? On se
gardera bien ici de jouer à l’expert.
Simplement, notons que, quand
bien même le bœuf britannique
ferait sa réapparition sur les étals
français, étiqueté comme tel, on
douterait un peu de son succès
commercial. Cette viande, dans
notre imaginaire continental, res-
semble encore par trop à du cobra
à prions !
(Cette chronique reprendra dans
notre édition de lundi 25, daté
26 octobre)
Le prix Nobel de la paix a été attribué
à « Médecins sans frontières »
Cette association a imposé l’humanitaire au cœur de l’action diplomatique
PORTÉE par les tumultes, les
ambitions et les ambiguïtés
de mai 68 l’association « Méde-
cins sans frontières », qui s’est
vue décerner le prix Nobel de la
paix 1999, vendredi 15 octobre, a
vu le jour en décembre 1971. Elle
bénéficiait alors d’une double
paternité médicale, celle des
docteurs Xavier Emmanuelli et
Bernard Kouchner. Initialement
baptisée « Secours médical fran-
çais », elle devait rapidement ne
plus être connue que sous le
sigle « MSF » et donner nais-
sance à ceux que le monde en-
tier désigne de l’expression les
« French doctors ».
Au départ, ce fut la volonté de
témoigner des horreurs vues au-
delà de nos frontières qui
conduisit les fondateurs à se sé-
parer de la Croix-Rouge pour la-
quelle ils travaillaient. Et c’est
cette même volonté qui, rappro-
chant médecins et journalistes,
explique la formidable réso-
nance médiatique qu’ont pu
trouver, au fil du temps, ces mis-
sionnaires de l’humanitaire.
Chacun conserve ainsi en mé-
moire des éléments de cette im-
mense saga écrite par de jeunes
médecins français dans la cha-
leur du Biafra, dans les maquis
afghans ou les camps de réfu-
giés cambodgiens.
Lorsqu’elle atteignait la carica-
ture et l’outrance, certains ont
pu sourire de cette vision répé-
tée de la détresse humaine
jointe au besoin obsédant de
faire connaître à l’opinion pu-
blique française les dramatiques
conséquences médicales et sani-
taires des principaux conflits du
globe.
EFFICACITÉ DES ACTIONS
On ne saurait pour autant ou-
blier, au-delà de la publicité et
de la légende, l’efficacité des ac-
tions conduites par MSF, le cou-
rage et le désintéressement de
ses membres. L’ampleur des en-
jeux, le choc de quelques fortes
personnalités et la puissance
grandissante de l’association ne
permirent pas de faire l’écono-
mie de quelques graves dé-
chirures. C’est ainsi que d’un
schisme naquit l’association
concurrente « Médecins du
monde ».
Ces soubresauts hexagonaux
n’ont pourtant pas nui à l’aura
internationale des « French doc-
tors ». Parce qu’elle avait im-
manquablement pour consé-
quence de rapprocher médecins,
militaires et diplomates, cette
activité humanitaire eut aussi
pour effet d’ouvrir, en France, le
débat sur le droit ou le devoir
d’ingérence.
Et avec la nomination de Ber-
nard Kouchner dans plusieurs
gouvernements de gauche on vit
s’opposer avec force partisans et
adversaires de l’« humanitaire
d’Etat ». Longtemps présidée,
avec sagesse, par le docteur Ro-
ny Brauman, MSF devait grandir
et devenir, avec une centaine de
permanents, la première organi-
sation médicale d’aide d’urgence
au monde (le Monde du 30 avril
1994).
Moins proche de la mise en
scène médiatique qu’à ses dé-
buts, revenue de bien des erre-
ments idéologiques, MSF s’est
depuis un certain temps déjà in-
téressée à quelques unes des
souffrances humaines existant à
l’intérieur de nos frontières.
C’est ainsi qu’en 1993 le second
rapport annuel de l’association
dénonçait le nombre croissant
des personnes exclues en France
du sytème de soins. Quelques
jours plus tard, Simone Veil,
alors ministre des affaires so-
ciales de la santé et de la ville,
annonçait une réforme de l’aide
médicale hospitalière. On re-
trouve le docteur Xavier Emma-
nuelli, président d’honneur de
MSF, chargé, dans le gouverne-
ment Juppé, chargé de prendre
les mesures nécessaires pour
que les plus démunis trouvent,
l’hiver, des refuges chauffés.
Pour l’heure, le couronnement
de l’association dirigée de-
puis mai 1994 par Philippe Biber-
son, salue l’œuvre accomplie par
quelques fous de l’humanitaire.
Jean-Yves Nau
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