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18 / LE MONDE / VENDREDI 16 AVRIL 1999 HORIZONS-DÉBATS
Nous avons un an de retard
Suite de la première page
Comme je n’ai ni ses obligations
ni ses limitations, je commencerai
par traduire sa proposition en
clair. « Je suis profondément affligé
par la tragédie qui se déroule en ce
moment au Kosovo et dans la
région. Une tragédie à laquelle il
faut mettre fin. Les souffrances
endurées par des victimes inno-
centes ne peuvent être prolongées.
C’est dans cet esprit que je lance un
appel urgent aux autorités yougo-
slaves en leur demandant de
prendre les engagements suivants ».
C’est un appel à Milosevic :
– « Mettre fin immédiatement à
la campagne d’intimidation et
d’expulsion de la population
civile. » C’est-à-dire : que Milose-
vic ordonne l’arrêt de l’opération
de déportation massive de la
population civile albanaise, qui
tente de modifier la démographie
du Kosovo par la terreur.
– « Faire cesser toutes les activités
des forces militaires et paramili-
taires au Kosovo, et retirer ces
forces. » Comprendre : que Milose-
vic n’utilise pas les forces armées,
appuyées par des professionnels
du crime, qui se sont entraînés en
Bosnie sur des dizaines de milliers
de victimes, pour se maintenir au
pouvoir en agitant l’épouvantail
du nationalisme irrédentiste,
même si c’est au prix de la destruc-
tion de ce qui reste de son pays.
– « Accepter inconditionnelle-
ment le retour dans leurs foyers des
réfugiés et de toutes les personnes
déplacées. » En clair : que Milose-
vic permette aux citoyens du
Kosovo, qui ont vécu pendant des
siècles dans ce foyer, de récupérer
leurs maisons, même s’ils les re-
trouvent détruites, d’enterrer
dignement leurs morts en les
exhumant des fosses communes
quand ils les auront découvertes,
et d’élever leurs enfants dans la
réconciliation et non dans la
haine.
– « Accepter le déploiement d’une
force militaire internationale pour
garantir que le retour des réfugiés se
fera dans des conditions de sécurité
et que l’aide humanitaire sera dis-
tribuée librement. » Soit : que per-
sonne ne puisse confier au pyro-
mane Milosevic le soin d’éteindre
le feu qu’il a provoqué. Que per-
sonne ne puisse laisser les victimes
aux mains de leur bourreau.
– « Permettre à la communauté
internationale de vérifier que ces
engagements sont respectés. »
Comprendre : il serait inimagi-
nable de faire confiance à Milose-
vic comme garant d’un quel-
conque accord ; seule la commu-
nauté internationale, Russie
comprise, peut assurer un mini-
mum de sécurité aux déportés
pour leur permettre de rentrer.
Cela veut dire que cette situation
de protection va durer au moins
aussi longtemps que durera
Milosevic.
C’est à partir de là que débutera
le processus d’une solution poli-
tique, moyennant des négocia-
tions entre toutes les parties,
comme le recommande instam-
ment le secrétaire général de
l’ONU.
Si Milosevic persévère dans sa
stratégie de survie personnelle, en
en faisant la priorité fondamentale
de ses actes, comment va-t-il réa-
gir à cette proposition, qui a non
seulement le mérite de coïncider
avec celle des pays européens et
de l’Amérique du Nord, mais
d’avoir été avalisée par Moscou ?
J’ai fait la connaissance de Milo-
sevic lors de la signature de la paix
de Dayton, quand j’assurais la pré-
sidence tournante de l’Union
européenne. Les bases de cet
accord étaient européennes, mais
l’autorité qui s’est chargée de les
mener à bien a été américaine.
Milosevic a signé, en qualité
d’acteur principal, d’interlocuteur
ès qualités de la communauté
internationale, la paix d’un pays
qui n’était pas le sien, résultat
d’une guerre qui, elle, était bien la
sienne et celle de Tudjman, entre
autres. Il est devenu la clé de la
solution du problème qu’il avait
lui-même créé en Bosnie. Je crains
qu’il ne continue à jouer un rôle-
clé dans la situation incertaine de
la République serbe de Bosnie.
Je l’ai rencontré à Belgrade en
1996, quatre jours avant Noël,
pour discuter du nouveau conflit,
créé par lui : celui des étudiants et
des classes moyennes des villes qui
avaient envahi pendant des
semaines les rues de la capitale,
pour qu’il rende aux véritables
vainqueurs des élections de
novembre de la même année les
municipalités perdues par son
parti.
Le 28 décembre 1996, j’ai eu
l’occasion de lui présenter deux
documents. Le premier concernait
la fraude électorale, telle que
l’avaient constatée et vérifiée tous
les membres de la délégation qui
m’accompagnait, parmi lesquels se
trouvaient des représentants
russes, américains, canadiens et
européens, ces derniers faisant
partie ou non de l’Union euro-
péenne. Le second, de plus grande
importance pour moi et de plus
haut intérêt, concernait les
recommandations pour la démo-
cratisation de la République fédé-
rale de Yougoslavie, comme base
de la pacification, du respect des
droits des différentes communau-
tés minoritaires dans le contexte
d’un territoire et d’un gouverne-
ment décentralisés.
Milosevic a fini par accepter le
premier, en rendant aux gagnants
des élections les mairies qu’il leur
avait confisquées, pour manœu-
vrer immédiatement en neutrali-
sant celle de Belgrade, ce qui a fait
tomber la tension de la rue et
donné un coup d’arrêt à la mobili-
sation la plus dangereuse qu’ait
connue son régime. Et, merveille
de sa stratégie, il s’est servi des
recommandations pour la démo-
cratisation de la République afin
de faire le contraire.
L’OSCE, le Groupe de contact,
l’Union européenne, avaient
assumé les deux documents à
l’unanimité mais, une fois les
manifestations de Belgrade dispa-
rues des chaînes de télévision, ils
ont baissé la garde et Milosevic a
eu le temps de manœuvrer en vue
des élections générales et prési-
dentielle serbes de 1997. Il a même
pu se débarrasser de la menace
que constituait Seselj en le faisant
entrer au gouvernement, au
moment ou le Groupe de contact
se réunissait à Bonn. Nous savions
que l’élection présidentielle de
Serbie, même recommencée du
fait du manque de participation
suffisante lors du premier scrutin,
ne se déroulait pas dans des condi-
tions démocratiques.
Nous sommes arrivés ainsi à
1998. Le Groupe de contact et
l’OSCE ont décidé de renouveler la
mission, avec pour objectif
d’imposer la démocratie, en
échange de l’intégration de la
République fédérale de Yougo-
slavie dans la communauté inter-
nationale.
Milosevic est intervenu au
Kosovo, en causant une première
centaine de morts. Toute l’atten-
tion de la communauté internatio-
nale s’est concentrée sur la nou-
velle crise et la démocratisation est
passée au second plan. La résolu-
tion prise par le Groupe de contact
lors de sa réunion de Londres, en
mars de la même année, haussait
le ton en assignant à Milosevic un
délai de quinze jours pour satis-
faire des exigences qui restent tou-
jours sans réponse à cette heure,
après plusieurs centaines de mil-
liers de déportés, après plusieurs
dizaines de villages détruits.
Quinze jours plus tard, le Groupe
de contact se réunissait de nou-
veau à Bonn et sa résolution pas-
sait de la ruade du cheval à
l’immobilité de l’âne. Milosevic
avait pu encore une fois prendre la
mesure de la véritable détermina-
tion de la communauté internatio-
nale.
L’OSCE voulait me charger de
diriger la nouvelle mission corres-
pondant à cette résolution, mais il
a refusé mon nom, et il a même
convoqué un référendum pour
que son peuple se prononce sur
« l’ingérence » au Kosovo. Il l’a
gagné facilement, avec l’argument
injustifiable qu’il s’agissait d’une
affaire interne de la Serbie, tout en
acceptant de discuter de la démo-
cratisation qui, apparemment, ne
lui paraissait pas une question
aussi interne.
En mai 1998, devant le conseil
des affaires générales de l’Union
européenne, j’ai eu l’occasion de
dire que la purification ethnique
avait commencé et que le film en
était déjà connu, puisque c’était la
copie conforme de celui que nous
avions vu en Bosnie. On ne pou-
vait se dire ni trompé, ni surpris.
Nous en sommes au point où, il y
a un an, il était prévisible que nous
en serions si nous laissions le stra-
tège de la survie suivre ses plans.
Je comprends le peuple serbe,
qui n’est pas responsable, mais qui
est une victime de plus de la
démence nationaliste de Milose-
vic. Un peuple qui ne peut rester
indifférent devant les dommages
que les bombes causent à sa
patrie, et qui, même s’il méprise le
dictateur, aime sa terre.
Le secrétaire général de l’ONU
peut persévérer dans sa proposi-
tion en forme d’appel, mais aussi
prévoir les conséquences d’une
réponse négative. La communauté
internationale, avec la participa-
tion d’un pays aussi décisif que la
Russie, doit retrouver la cohésion
ou la fermeté nécessaires pour
garantir la paix, une paix dans la
liberté, et non une paix des cime-
tières. Il n’y aura pas de paix s’il
n’y a pas de démocratie dans toute
la Yougoslavie. Il n’y aura pas de
traitement sérieux des droits des
minorités s’il n’y a pas de démo-
cratie dans toute la Yougoslavie. Il
n’y aura ni démocratie, ni paix, ni
respect des minorités, tant que
Milosevic continuera d’être le dic-
tateur qui provoque la guerre et la
purification ethnique, pour se pré-
senter ensuite en interlocuteur de
ses victimes et de la communauté
internationale.
Felipe Gonzalez
(Traduit de l’espagnol par
François Maspero)
© El Pais.
C’est vrai ou c’est faux ?
par Jean-François Kahn
P
ASCAL BRUCKNER,
ce médiaphysicien
considérable, relève à
la « une » du Monde
(7 avril) qu’à propos de la nouvelle
guerre des Balkans j’exprimai de
façon « primaire » – c’est-à-dire,
dans son esprit, de façon claire et
directe – ce que quelques autres
ont évoqué de « manière plus
sophistiquée ». Je rougis encore du
compliment. Même si, aussi pri-
maire que je sois, je n’aurais osé
signer un texte d’un autre âge,
aussi complexe qu’une pensée du
général Patton et aussi nuancé
qu’un éditorial de feu la Pravda,
d’où il semble résulter que c’était
être anti-français que de s’opposer
en 1960 à la guerre d’Algérie, anti-
russes que de condamner l’inter-
vention soviétique en Afghanis-
tan, anti-arabes que de réprouver
l’invasion du Koweït par Saddam
Hussein et que le souvenir de Sta-
lingrad aurait dû nous interdire de
critiquer la doctrine de Leonid
Brejnev !
Mais bon, je revendique : je suis
primaire, en effet, en cela qu’à un
certain moment de la controverse
la plus éthérée il ne me semble pas
tout à fait inutile de savoir ce qui
s’est révélé vrai ou faux.
Donc, puisque le « clan des Sici-
liens » de la bien-pensance mon-
daine nous désigne à la vindicte
privée (publique, il n’oserait pas !),
sous prétexte que nous, qui nous
sommes prononcé depuis long-
temps, contrairement à Chirac ou
à Jospin, en faveur du droit à
l’indépendance du peuple koso-
var, nous avons condamné la
guerre aérienne déclenchée par
l’OTAN contre la République you-
goslave, examinons un instant le
dossier d’accusation à l’aune de
ces idées simples, donc « pri-
maires ».
Qu’avons-nous écrit ? Que les
frappes de l’OTAN, cette forme de
guerre très lâche, feraient des vic-
times civiles innocentes. Vrai ou
faux ? Qu’elles contribueraient à
réunifier les Serbes autour de
« l’épouvantable » Milosevic et,
par conséquent, qu’elles renforce-
raient son régime. Vrai ou faux ?
Qu’elles fragiliseraient le pouvoir
modéré du président du Monténé-
gro et seraient perçues par tous
les démocrates yougoslaves, qui
luttent depuis des décennies
contre le pouvoir de Belgrade,
comme un véritable coup de poi-
gnard dans le dos. Vrai ou faux ?
Que pratiquement tous les Serbes,
y compris les plus libéraux, pro-
fessant sur la question du Kosovo
le même point de vue (« Hélas ! »,
précisions-nous) que leur « dicta-
teur », les bombardements étaient
dirigés non contre un gouverne-
ment, mais contre un peuple. Vrai
ou faux ? Que nous étions en train
d’offrir sur un plateau la Russie
aux communistes et aux nationa-
listes. Vrai ou faux ? Que cette
aventure sans issue ne ferait que
radicaliser sur tous les continents
les passions les plus anti-occiden-
tales. Vrai ou faux ?
Qu’avons-nous écrit encore ?
Que les frappes de l’OTAN, loin
d’apporter la délivrance souhaitée
aux Kosovars – et nous écrivions
cela le 26 mars – « les livreraient
tout crus à leurs oppresseurs ». Vrai
ou faux ? Que la catastrophe
humanitaire à laquelle nous assis-
tons n’a été, à l’évidence, ni empê-
chée ni freinée par ces frappes
mais, au contraire, enclenchée ou
accentuée. Vrai ou faux ? Qu’une
alliance militaire représentant les
grandes puissances ex-impériales
s’est substituée à un organisme
réellement international – l’ONU –
garant de la sécurité collective ;
qu’il y a quelque chose d’ubues-
que à constater que la Turquie,
cause avec le PKK de l’exode de
plus de 800 000 Kurdes, participe
aux opérations de l’OTAN au nom
des Kosovars et quelque chose de
répugnant à assister à la banalisa-
tion, à la relativisation « négation-
niste », (en particulier par les diri-
geants allemands), du concept de
« génocide ». Vrai ou faux ? Qu’il
faut absolument, par tous les
moyens, permettre aux réfugiés
du Kosovo de retourner dans leur
pays, comme il faudra imposer le
retour des musulmans dans les
régions de Bosnie dont ils ont été
« chassés », mais que certains
eussent été plus crédibles s’ils
avaient ne serait-ce qu’exprimé
une timide protestation lorsque
les Serbes furent « renvoyés » en
masse de la Krajina. Qu’il y a quel-
que contradiction à exiger le lundi
la guerre au nom de l’unité plu-
riethnique (de la Bosnie) et le
mardi au nom de la partition eth-
nique (de la Serbie). Vrai ou faux ?
La seule assertion qu’on nous
conteste désormais est celle selon
laquelle les frappes ont servi de
prétexte ou d’alibi à l’opération
« d’épuration ethnique » en cours
au Kosovo, alors qu’auparavant il
y avait oppression, exactions
insupportables, mais pas, à pro-
prement parler, épuration. Puis-
qu’il y avait proportionnellement
plus de Serbes qui, se sachant
rejetés et détestés, quittaient le
Kosovo, que d’Albanais.
Nous pourrions poursuivre
comme Pascal Bruckner sur ce
mode binaire. Mais il se trouve
que, contrairement à lui, nous
avons intégré la complexité. Com-
ment ? En soulignant que ce
drame était trop douloureux pour
que toutes les prises de position
ne soient pas a priori respectées
parce que respectables. Qu’il n’y a,
d’un côté comme de l’autre, «ni
crétins ni crapules ». Qu’il est tou-
jours magnifique de se sentir
proche d’un peuple qui souffre,
même si notre solidarité à nous va
aux deux peuples dont on est en
train de faire le malheur : le
peuple serbe que l’on écrabouille
– ce qui ne dérange pas Milose-
vic – et le peuple kosovar qu’on
s’apprête à trahir en lui refusant
ce pourquoi il lutte : le droit de
choisir son destin, fût-ce l’indé-
pendance, fût-ce une fédération
avec l’Albanie.
Alors pourquoi cette hargne,
cette diabolisation du désaccord,
cette excommunication de la dif-
férence ? Parce qu’on regrette le
temps où tout était simple et per-
mettait de structurer une fois pour
toutes les idées les moins origi-
nales, avec « l’empire du mal »
d’un côté et le « monde libre » de
l’autre ? Parce qu’on recherche
coûte que coûte à reconstruire «le
mur », au moins dans les têtes ?
Nos contradicteurs sont média-
tiquement ultra-majoritaires,
notre dissidence ne bénéficie pas
du vingtième de leur force de
frappe, alors pourquoi ce « pilon-
nage » de plus ? Pour nous faire
taire ?
Mais si nous nous taisions, jus-
tement, aurait-on encore le cœur
de dénoncer le « discours unique »
qui règne à Belgrade ?
Jean-François Kahn est
directeur de la publication de
« Marianne ».
Dénationaliser
les Balkans ?
par Charles Millon
L
’EUROPE est prison-
nière du cycle infernal
des guerres de minori-
tés : elle ne parvient pas
à substituer la prévention politique
à l’action militaire. Si les respon-
sables politiques se révèlent inca-
pables d’imaginer des solutions aux
conflits qui éclatent régulièrement
dans les Balkans, c’est parce que,
pour eux, la seule vision légitime est
celle de l’Etat-nation. Cette vision
est totalement inadaptée à l’Europe
de l’Est, où les Etats, créés par la
grâce des traités, abritent couram-
ment plusieurs peuples, langages
ou cultures, où l’identification Etat-
nation-territoire est impossible, où,
dans un même village cohabitent
différentes minorités. C’est pour ne
pas l’avoir compris, pour avoir
voulu imposer l’identification Etat-
nation, pour avoir refusé de
prendre en compte l’hétérogénéité
ethnique, religieuse et culturelle de
ces Etats, que les hommes poli-
tiques européens ont une respon-
sabilité certaine dans la guerre des
Balkans. Car chacun sait que,
lorsqu’il s’agit de peuples, de
culture ou de religion, pour rendre
homogène ce qui est hétérogène, il
faut expulser, nettoyer, tuer, assimi-
ler de force.
Soyons lucides, c’est ce que la
France a fait à sa manière dans les
siècles passés. Souvenons-nous des
colonnes infernales de Vendée ou
des dragonnades des Cévennes.
Il est urgent – si nous voulons que
l’Europe de l’Est échappe doréna-
vant aux purifications ethniques,
religieuses ou culturelles – d’accep-
ter l’hétérogénéité, la dissociation
Etat-nation, la création d’autres
modèles d’organisations.
Or un autre modèle existe, il a été
conceptualisé à la fin du XIX
e
siècle
par Karl Renner lors d’un congrès
du Parti social-démocrate autri-
chien où avait été évoquée la trans-
formation de l’Autriche-Hongrie en
une fédération de nationalités.
Déjà, à cette époque, des voix
s’étaient élevées pour souligner
l’urgence de sortir du dilemme
mortel entre le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes et l’unité de
l’Etat. Cela revenait à poser les
bases d’un Etat multinational où
sont dissociés l’Etat et la nation.
Les guerres nationales pour-
raient être rendues sans fondement
par une dénationalisation de l’Etat,
par une dissociation de l’Etat et de
la nation. Comme l’Europe a mis fin
aux guerres de religion en reléguant
la religion dans le domaine de la
conscience individuelle, elle pour-
rait tenter de mettre fin aux guerres
nationales en faisant de l’identité
nationale un choix et un droit indi-
viduel. L’appartenance à une
nation ne serait pas uniquement
liée au droit au sang ou au droit du
sol : il reviendrait à chaque individu
de décider dans quelle commu-
nauté nationale il s’inscrit.
Poser les bases d’un
Etat multinational
où sont dissociés
l’Etat et la nation
Les « nations » entendues de
cette façon seraient des personnes
morales que l’Etat reconnaîtrait en
tant que telles, outre le fait qu’il
continuerait de reconnaître chaque
individu comme citoyen. Elles se
soumettraient librement à la souve-
raineté étatique avec laquelle elles
discuteraient leurs compétences.
Nous nous trouverions dans une
sorte de fédéralisme disséminé,
sans territoire, puisque les indivi-
dus de même nationalité ne
seraient pas regroupés géographi-
quement, mais culturellement et
juridiquement. La nation serait
désétatisée. L’Etat serait dénatio-
nalisé.
Le principe de personnalité fut
appliqué après la première guerre
mondiale, en Lituanie, et plus
expressément en Estonie, par une
loi de 1925 dont s’inspirent les Hon-
grois d’aujourd’hui. Après 1989,
pour tenter de répondre au pro-
blème de ses minorités et pour pro-
poser un modèle politique que les
pays alentour pourraient adopter à
l’égard des minorités hongroises, la
Hongrie a adopté une loi sur le droit
des minorités nationales et eth-
niques. Le principe de l’autonomie
personnelle est reconnu juridique-
ment. Les « minorités nationales et
ethniques » se voient reconnaître
des droits collectifs et participent à
la vie publique, en tant que telles,
par l’autoadministration. La nation,
considérée comme une commu-
nauté de culture, devient corps
intermédiaire au sein de l’Etat, seul
souverain.
Cette idée d’un Etat multinatio-
nal représente, pour les vieilles
nations de l’Ouest, quelque chose
comme une chimère à trois têtes.
Naturellement, promouvoir un
modèle de ce type pourrait consti-
tuer pour elles un danger. En justi-
fiant un autre modèle, nous faisons
descendre le nôtre de son piédestal
monopolistique. Et si l’Etat multi-
national devient sur le plan euro-
péen aussi légitime que l’Etat-
nation, comment éviterons-nous
les revendications des Bretons ou
des Corses ? C’est peut-être juste-
ment pour cela que le débat n’appa-
raît pas sur ces questions. Pourtant,
nul doute qu’une organisation de
ce type pourrait, dans certains pays,
offrir des chances de substituer le
droit à la violence toujours mena-
çante et de limiter les occasions de
guerre. Nous devons, certes, conti-
nuer à fourbir des armes pour éviter
des massacres sur le territoire euro-
péen. Mais l’Europe devrait surtout
servir à la conception concertée de
nouvelles organisations politiques.
Tandis que, si nous continuons à
traiter le problème seulement dans
ses conséquences, en imposant la
paix par la guerre, nous risquons de
ne gagner à long terme que la paix
des cimetières.
Charles Millon ancien
ministre de la défense, est président
de La Droite.
Je n’aurais osé signer un texte
– celui de Pascal Bruckner – d’un autre âge,
aussi complexe qu’une pensée
du général Patton et aussi nuancé
qu’un éditorial de feu la « Pravda »
Il n’y aura ni démocratie, ni paix, ni respect
des minorités tant que Milosevic continuera
d’être le dictateur qui provoque la guerre
et la purification ethnique, pour se présenter
ensuite en interlocuteur de ses victimes
et de la communauté internationale
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