
LeMonde Job: WIV1499--0006-0 WAS LIV1499-6 Op.: XX Rev.: 07-04-99 T.: 19:49 S.: 111,06-Cmp.:08,07, Base : LMQPAG 03Fap:100 N
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VI / LE MONDE / VENDREDI 9 AVRIL 1999
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Titanic bancaire
Retour sur la plus grande faillite de l’histoire
française : celle de la banque Pallas Stern
UNE FAILLITE
SI CONVENABLE
Histoire de la banque
Pallas Stern
d’Irène Inchauspé.
Calmann-Lévy, 202 p.,
110 F (16,8 ¤).
L
a banque française ne sera
plus ce qu’elle a pu être
dans les années 80 et 90. Il
faut l’espérer pour les épar-
gnants et les actionnaires. Telle est
la conclusion du livre d’Irène In-
chauspé, Une faillite si convenable,
qui retrace la faillite de la banque
Pallas Stern, le désarroi de ses 1 500
clients et l’impuissance des milliers
d’épargnants qui, conseillés par les
plus grandes banques, ont investi
dans les obligations Pallas Stern.
L’histoire est consternante. La jour-
naliste démontre avec limpidité que
l’effondrement de la banque – son
dépôt de bilan date de l’été 1995 –
était inscrit dans ses comptes dès
1991.
Ses dirigeants, grassement rému-
nérés, ont joué de leur passé et de
leur réputation pour maintenir l’illu-
sion du sérieux. Le premier d’entre
eux, Gérard Eskénazi, ancien patron
de Paribas, est présenté comme le fi-
nancier le plus doué de sa généra-
tion. Se succéderont dans les fonc-
tions dirigeantes Jacques-Henri
David, aujourd’hui PDG de la
Banque de développement des
PME, Laurent Perpère, qui a depuis
rejoint Canal Plus et pris la tête du
club de foot Paris-Saint-Germain,
ou encore Patrice Vial, qui dirige dé-
sormais la banque américaine Mor-
gan Stanley. Leur portrait est cruel,
les montrant aveugles, dépourvus
de curiosité, plus intéressés par les
mondanités et le golf que par l’ave-
nir de la banque. Le gouverneur de
la Banque de France, Jean-Claude
Trichet, n’est pas épargné. Toute-
fois, c’est moins la manière de les
dépeindre qui les accable que la dé-
monstration de leur absence d’esprit
de décision face à la situation dra-
matique de la banque. Viennent en-
suite les actionnaires et les adminis-
trateurs de la banque – qui comptait
à son tour de table la Société de
banque suisse, Elf, le groupe Schnei-
der, Pinault-Printemps-Redoute, les
AGF, le GAN, le Crédit lyonnais.
L’affaire s’est jouée en trois
temps. Dans le premier (1991), les
actionnaires de la Banque Pallas
prennent conscience que ce petit
établissement créé par Pierre Mous-
sa – un autre ancien de Paribas, sans
doute le plus fautif dans cette triste
histoire – est au bord de la faillite à
cause de ses engagements dans l’im-
mobilier. Ils cherchent une solution,
avec la Banque de France, qui passe
par une fusion à trois, avec la
banque Stern et Comipar, la holding
de Gérard Eskénazi. La crise de l’im-
mobilier s’aggrave et la banque
s’enlise. Ses actionnaires traînent les
pieds pour la renflouer, et cherchent
à refaire le coup de l’adossement.
Mais cette fois personne ne se laisse
piéger. Seule la pression de la justice
amènera, au troisième acte, les ac-
tionnaires à contribuer à l’indemni-
sation des créanciers.
La plus grosse faillite bancaire de
l’histoire française – qui coûtera
plus de 5 milliards de francs – n’aura
eu en définitive qu’une vertu : ame-
ner le gouvernement à concocter un
projet de loi pour renforcer la sé-
curité de l’épargne financière.
Sophie Fay
Rien d’extérieur à la vie
A Cambridge, puis dans
une cabane de Norvège,
Wittgenstein décrit au
jour le jour, pendant les
années 30, ses combats
spirituels. Un livre de
Paul Audi en tire
magnifiquement la
leçon. Pour en finir avec
la morale ? L’éthique !
CARNETS DE CAMBRIDGE
ET DE SKJOLDEN
de Ludwig Wittgenstein.
Traduits de l’allemand
et présentés
par Jean-Pierre Cometti.
PUF, « Perspectives critiques »,
208 p., 170 F (25,92 ¤).
SUPÉRIORITÉ DE L’ÉTHIQUE
De Schopenhauer
à Wittgenstein
de Paul Audi.
PUF, « Perspectives critiques »,
248 p., 149 F (22,71 ¤).
W
ittgenstein a beau-
coup changé. Au
cours de ses trajec-
toires, il a modifié
ses pensées. Et les parcours de cet
homme solitaire furent pour le
moins insolites. D’une guerre
mondiale à l’autre, il fut tour à
tour ou simultanément ingénieur,
soldat, logicien, jardinier, batelier,
instituteur, architecte, professeur,
ermite, espion peut-être. Ce philo-
sophe a aussi changé dans nos re-
présentations. Il y a trente ans, en
France, on le découvrait à peine.
Jacques Bouveresse consacrait de
forts volumes à son style d’inter-
rogation, encore fort déroutant.
Presque aucun texte n’était tra-
duit. Peu de détails étaient connus
de son existence, de ses multiples
inédits. Aujourd’hui, une bonne
bibliothèque est nécessaire pour
contenir les cahiers, notes de
cours et carnets de Wittgenstein.
Sans compter les commentaires,
les biographies, les travaux de re-
cherche ou de vulgarisation! Au fil
des ans, un changement qualitatif
s’est également produit. A côté du
logicien systématique de la pre-
mière période, celle du Tractatus
logico-philosophicus, publié en
1921, on a de mieux en mieux dé-
couvert le « second Wittgens-
tein », celui des jeux de langage et
des univers fictifs. Après un temps
de silence, il a en effet accompli,
dans les années 30, à Cambridge,
un travail d’assouplissement des
«crampes mentales», de dissolu-
tion des questions illusoires. «Ce
que nous faisons, dit-il en enta-
mant son premier cours, consiste à
nettoyer nos notions, à clarifier ce
qui peut être dit du monde. »
nombre de nos penseurs,
l’éthique n’est pas liée à l’univers
du jugement, aux procédures de
la rationalité, au sens des valeurs,
au respect des règles.
Qu’est-elle donc? Rien d’exté-
rieur à la vie, selon Paul Audi.
Quelque chose sans phrase, sans
raison, sans idée, lié à ce senti-
ment par lequel celui qui vit
s’éprouve lui-même et reçoit le
monde. Autre chose pourtant que
l’instinct, la brutalité, la pulsion
sans frein. Un art de l’usage de soi
en vie, une tournure à donner à
l’existence pour qu’elle soit
« juste » – comme on le dit d’une
voix, d’un instrument de mu-
sique, d’un geste. Cette justesse
diffère évidemment de toute mise
en conformité avec l’idée de jus-
tice. Elle se confond avec un « de-
venir soi-même » qui dissipe les
désaccords et finalement les
« questions morales » et leurs di-
lemmes. « La solution du problème
que tu vois dans la vie, c’est une
manière de vivre qui fasse dispa-
raître le problème », écrit Witt-
genstein dans les Remarques
mêlées. L’éthique suppose une
conversion, mais qui dispose à
devenir plus et mieux ce qu’on
est. C’est un « ressaisissement »,
mais destiné à retrouver une
forme de vie plus intense. Aucun
de ces termes ne doit fournir l’oc-
casion d’introduire un écart, un
arrière-monde, un espace de ju-
gement. « Bien faire » ne signifie
pas avoir discerné le Bien et le
prendre pour but de ses actes :
« Le bien n’est pas hors de l’agir
éthique », souligne Paul Audi.
Dans le sillage de Schopen-
hauer, de Nietzsche, de Michel
Henry et aussi de Deleuze, ce
livre dessine en quelque sorte une
éthique négative, comme on
parle de théologie négative.
L’éthique est du côté de ce qui ne
peut se dire, et doit se montrer.
Voilà pourquoi, chez Wittgens-
tein, tout s’organiserait « pour »
et « par » l’éthique, tandis que
rien ou presque ne se dirait
« sur » l’éthique. Lui-même l’a
souligné : « Si je ne pouvais expli-
quer à autrui l’essence de ce qui est
éthique que par le biais d’une
théorie, ce qui est éthique n’aurait
pas de valeur du tout. »
Jean-Yves Haberer solde les comptes du Lyonnais
Dans un livre-plaidoyer, le président du Crédit lyonnais de 1988 à 1993 explique les causes
du naufrage financier de la banque publique et tente, sans convaincre tout à fait, de se dédouaner
CINQ ANS DE CRÉDIT
LYONNAIS
de Jean-Yves Haberer.
Ed. Ramsay, 416 p., 139 F (21,2 ¤).
A
dmiré puis haï, considéré
tour à tour comme un
stratège hors pair ou un
dangereux mégalomane,
Jean-Yves Haberer reste, à
soixante-six ans, une énigme et
une personnalité sans équivalent
dans le monde étroitement imbri-
qué, en France, de la haute admi-
nistration et des affaires. Président
du Crédit lyonnais de 1988 à 1993,
il est devenu, malgré lui, le person-
nage central du naufrage de la
banque publique. Considéré
comme le responsable principal
d’un désastre de plus de 100 mil-
liards de francs, Jean-Yves Habe-
rer, resté longtemps silencieux, se
défend bec et ongles dans un livre
plaidoyer, Cinq ans de Crédit
lyonnais.
« Plutôt que de gémir de la cruau-
té aveugle dont on a fait preuve,
d’évoquer l’affliction de mes amis, le
souci de ma famille, le traumatisme
de mes enfants, ou de supputer les
chances de mon endurance face au
risque psychosomatique, je préfère
illustrer ce qu’on m’a fait par une
contribution réfléchie tentant d’ana-
lyser le mécanisme collectif et
aveugle qui s’est acharné sur moi. »
Cette phrase d’un des derniers
chapitres, « Une diabolisation du
bouc émissaire », illustre la volon-
té de l’auteur de faire un retour
méthodique sur cinq années trau-
matisantes et de dominer les évé-
nements, froidement.
Jean-Yves Haberer a toujours
cultivé le désir de grands desseins.
S’il a emprunté avec un succès ja-
mais démenti, jusqu’en 1993, les
chemins obligés de la noblesse
d’Etat, il n’est pas l’archétype du
haut fonctionnaire. Si l’exercice et
le jeu du pouvoir ont été les
grandes affaires de sa vie, il a tou-
jours eu cette pointe d’anticonfor-
misme et de morgue qui lui vaut
de nombreuses inimitiés. Selon la
légende complaisamment répan-
due par l’intéressé, la belle méca-
nique intellectuelle du jeune ins-
pecteur des finances qu’il était
aurait séduit de Gaulle au début
des années 60. Mais la droite ne lui
pardonnera jamais d’avoir assumé
sans états d’âme, voire avec une
certaine allégresse, la continuité à
la tête du Trésor après mai 1981.
S’il avait réussi dans la fonction
publique, il échouera en tant que
banquier, un métier qu’il découvri-
ra sur le tard. La gauche, qui l’avait
récompensé une première fois, en
dépit des réticences au sein du Par-
ti socialiste, en lui confiant, en
1982, Paribas traumatisé par sa na-
tionalisation, lui donne en sep-
tembre 1988 – pour réparer le pré-
judice subi lors de son limogeage
de 1986 – la présidence du Crédit
lyonnais, qu’il quittera en
novembre 1993 dans une atmo-
sphère de scandale.
VICTIME IMPUISSANTE
Désigné depuis à la vindicte, car
« cela n’offense aucun parti poli-
tique, aucun courant idéologique,
aucune affinité philosophique et re-
ligieuse, aucun clan », il cherche, au
long de son récit, à démontrer,
dans un souci presque thérapeu-
tique, qu’il est lui aussi une victime
– de la faiblesse de ses collabora-
teurs et des employés du Lyonnais,
de l’archaïsme de la banque, de la
servilité dont il est entouré, d’une
crise économique et immobilière
imprévisible et, plus encore, de la
férocité et de l’irresponsabilité de
la presse, de ses concurrents, de
son successeur Jean Peyrelevade et
des ministres de l’économie qui
auront géré souvent de façon cala-
miteuse ce dossier brûlant.
Quitte à réécrire un peu l’his-
toire, Jean-Yves Haberer se montre
plutôt convaincant dans la des-
cription de son impuissance : le
Crédit lyonnais, « un grand corps
trop mou », semble figé dans sa
splendeur passée de première
banque du monde au début du
siècle, engoncé dans des règles ad-
ministratives incroyablement
complexes et immuables et insen-
sible à l’évolution du monde exté-
rieur. Le président tout-puissant
qu’il est se trouve isolé, à la merci
de ce qu’on veut bien laisser filtrer
jusqu’à lui : « Les bonnes nouvelles
galopent vers moi par plusieurs ca-
naux simultanés. Les mauvaises
nouvelles n’arrivent pas, ou arrivent
tardivement, et souvent par un ca-
nal autre que le responsable du sec-
teur. (...) La culture du Crédit lyon-
nais est de s’autosatisfaire sans
jamais admirer les autres. »
Jean-Yves Haberer se reconnaît
tout de même une erreur : « Faute
d’être secondé et de n’avoir pu trou-
ver comment l’être, je n’ai pu faire
évoluer le poids excessif des services
centraux. » Enfin, il découvre sur le
tard « les mauvaises mœurs verbales
du milieu socio-professionnel finan-
cier et bancaire. C’est le royaume
des ragots, insinuations, calom-
nies... », et s’en prend tout parti-
culièrement au déchaînement mé-
diatique : « Tous nos patients efforts
d’explication (...) échouent, parce
qu’il nous est arrivé le plus grand
malheur qui puisse arriver à une en-
treprise. Le Crédit lyonnais ne relève
plus de l’information mais du
spectacle. »
Ce plaidoyer, s’il sonne parfois
juste, laisse un sentiment de ma-
laise. Bien sûr, il est commode de
faire du président de la banque le
seul responsable du désastre. Cela
exonère bien d’autres. Mais Jean-
Yves Haberer, homme de pouvoir,
brillant directeur du Trésor, pré-
sident de Paribas, a-t-il été cinq an-
nées durant une potiche à la tête
du Lyonnais, sans prise sur la réali-
té ? Son ambition qui n’était pas
mince, son souci de la grandeur de
la banque, ont amplifié les travers
d’un établissement incapable de
mesurer les risques pris. La ren-
contre de deux désirs de revanche
– le sien et celui du personnel du
Crédit lyonnais nostalgique de la
grandeur passée – a été détonante.
L’ancien directeur du Trésor a été
pris de vertige, mais aucun garde-
fou, ni à l’intérieur ni à l’extérieur,
ne lui a été opposé. Il a bénéficié
de l’appui inconditionnel d’un
pouvoir dont il était l’interlocuteur
idéal – il suffit de lire l’hommage
particulièrement appuyé à Pierre
Bérégovoy. Jean-Yves Haberer re-
vient ainsi sur ces épisodes in-
croyables où le ministre demande
aux présidents des banques
concurrentes de faire cesser leurs
critiques contre le président du
Lyonnais.
Dans cette « affaire », les mal-
versations occupent, c’est tout na-
turel, le devant de la scène. Mais si
elles sont nombreuses, elles ex-
pliquent une part finalement faible
des pertes colossales. L’incompé-
tence et la légèreté des dirigeants
du Lyonnais, y compris de Jean-
Yves Haberer, le refus d’assumer
les responsabilités, les tentatives
pour gagner du temps et dissimu-
ler l’ampleur des pertes, la compli-
cité et la passivité de l’administra-
tion, des autorités de tutelle et des
gouvernements auront finalement
joué un rôle bien plus important
dans l’ampleur de la facture. Jean-
Yves Haberer a été, qu’il le veuille
ou non, un rouage essentiel de la
faillite de ce système.
Eric Leser
la chronique
b
de Roger-Pol Droit
Sans doute est-ce un troisième
visage que l’on commence à voir
de près. Derrière l’épure mathé-
matique et les argumentations
contraignantes des premières an-
nées, après la grande lessive des
outils conceptuels de la deuxième
période, s’éclaire aujourd’hui net-
tement un Wittgenstein « mys-
tique » – silencieux, fugace, enga-
gé dans une quête spirituelle
continue dont seules des bribes,
par instants, nous parviennent. Le
texte des Carnets que Wittgens-
tein tint à Cambridge en 1930-
1932, puis à Skjolden, en Nor-
vège, dans une hutte où il passa
seul l’hiver 1936-1937, constitue
un élément important de cette
découverte. Ces pages étaient te-
nues pour perdues. Elles furent
retrouvées en 1993 et publiées
peu après. Les lire est une expé-
rience rare. Elles donnent le sen-
timent de se trouver d’emblée,
comme par surprise ou par ef-
fraction, en présence de ce que la
vieille langue appelait une âme.
« Une âme qui, plus nue qu’une
autre, va du néant à l’enfer en tra-
versant le monde, fait une plus
grande impression sur le monde
que les âmes bourgeoises habil-
lées », note Wittgenstein en une
sorte d’autoportrait implicite.
Il faut suivre à la trace, quand
on y parvient, cet esprit qui se dit
d’emblée « très souvent ou presque
toujours empli d’angoisse », qui
rêve de parvenir à composer une
mélodie, aime au cinéma les
comédies américaines comme un
enfant les contes de fées, s’in-
quiète du travail insoupçonnable
de son cerveau, n’exclut pas
d’être happé par la folie, cherche
Dieu, ne trouve personne, s’en ré-
jouit, attend que le soleil passe
enfin au-dessus de la montagne,
se trouve lâche, se passionne
pour la philosophie et son pou-
voir d’« apaiser l’esprit sur les
questions insignifiantes », s’en dé-
goûte dès qu’il y a plus important
à vivre (« comme si j’allais au ci-
néma, au lieu de soigner une mala-
die ») et note : « La connaissance
de soi est quelque chose de terrible,
car on y connaît également l’exi-
gence de la vie. »
Le beau livre de Paul Audi
pourrait être comme une explica-
tion jubilante de cette dernière
phrase. Mais il va bien au-delà.
Paul Audi s’inspire, certes, de
Wittgenstein. Il s’appuie sur ses
carnets, s’attache au travail sur
lui-même accompli par le penseur
écrivant en 1931 : « Le travail en
philosophie (...) est avant tout un
travail sur soi-même. » Toutefois,
Paul Audi ne se contente pas d’of-
frir un essai de plus – brillant, ori-
ginal – sur l’un des esprits les plus
dérangeants du siècle. Ce qu’il
propose est autrement radical et
autrement important : une mise
au net de la nature de l’éthique.
Rien de moins. L’analyse élaborée
par ce philosophe atypique – qui
signe ici son sixième ouvrage, et
son premier grand texte – est
forte et audacieuse. Sans doute
pourra-t-on en discuter tel pré-
supposé ou telle conséquence, en
contester éventuellement telle
formulation. Mais on ne pourra
désormais ignorer ce plaidoyer
pour la « supériorité de
l’éthique ». Ce titre demande ex-
plication, car il est ici paradoxal.
L’idée d’une supériorité de
l’éthique évoque en effet, banale-
ment, l’image d’un monde de
règles et de normes morales qui
se trouverait « au-dessus » du
monde vivant et permettrait de le
juger du dehors, d’approuver ou
de condamner telle ou telle ac-
tion comme morale ou immorale,
conforme ou non au bien. Paul
Audi s’oppose à chacun de ces
termes, s’emploie à en montrer
l’inanité inepte. A ses yeux, en ef-
fet, l’éthique n’est pas la morale.
Elle n’est pas « au-dehors » ni
« au-dessus » du corps vivant. Sa
supériorité n’est pas un sur-
plomb, ni même le résultat d’au-
cune existence séparée. Quoi
qu’en disent nos préjugés, et
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