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COMMUNICATION
LE MONDE / VENDREDI 16 AVRIL 1999
La publicité dans les magazines canadiens oppose Ottawa à Washington
En discussion au Parlement au mois de juin, le projet de loi sur la presse visant à réserver la publicité
à des annonceurs locaux envenime sérieusement les relations américano-canadiennes
MONTRÉAL
de notre correspondante
L’histoire débute en 1993, alors
que le puissant magazine améri-
cain Sports Illustrated transmet par
satellite sa version canadienne à un
imprimeur canadien pour contour-
ner une loi votée trente-cinq ans
plus tôt à Ottawa et interdisant
l’importation de ce type de produit.
Le magazine, à contenu rédaction-
nel américain, contenait aussi de la
publicité d’annonceurs canadiens
et constituait dès lors une « édition
à tirage dédoublé de périodique
étranger », au sens de la législation
d’Ottawa.
Aucune loi ne ferme l’accès du
marché canadien aux publications
étrangères. Le Canada serait même
« le marché au monde le plus ouvert
aux publications étrangères », selon
la ministre du patrimoine, Sheila
Copps. A preuve, rappelle-t-on à
Ottawa, les périodiques étrangers
– 96 % d’entre sont américains –
occupent 80 % à 85 % des rayons
des kiosques et représentent 89 %
des ventes. La loi de 1965 visait la
fermeture du marché publicitaire
pour les versions « canadiennes »
de magazines étrangers sans conte-
nu local. En réservant la manne pu-
blicitaire aux périodiques cana-
diens, le gouvernement a sans
conteste permis le développement
d’une presse magazine nationale
qui compte 1 400 titres, contre 660
dans les années 50. L’histoire de
Sports Illustrated montre que le
combat canadien pour une certaine
forme de « diversité culturelle »
n’est pas facile à gagner.
Selon les Canadiens,
cette affaire serait
pour les Américains
plus une question
de principe
qu’une « histoire
de gros sous »
En 1995, Ottawa impose une taxe
de 80 % sur ces fameux « périodi-
ques à tirage dédoublé » publiés au
Canada. Sports Illustrated retire im-
médiatement sa version cana-
dienne, tandis que le gouverne-
ment américain conteste la taxe
devant l’Organisation mondiale du
commerce (OMC). En 1997, Was-
hington obtient gain de cause,
l’OMC jugeant qu’Ottawa ne peut
traiter différemment, en matière de
taxation, les périodiques selon
qu’ils sont étrangers ou nationaux.
Le gouvernement canadien se plie
à la décision en supprimant, en
1998, sa taxe ainsi qu’une mesure
douanière interdisant l’importation
de périodiques à tirage dédoublé.
D’un même élan, Ottawa an-
nonce une nouvelle loi réglemen-
tant les « services publicitaires four-
nis par des éditeurs étrangers ». Elle
réserve aux éditeurs canadiens le
droit de vendre des espaces publi-
citaires à des annonceurs cana-
diens et impose une amende pou-
vant aller jusqu’à 250 000 dollars
canadiens (154 300 euros) par in-
fraction !
L’OMC lui avait ouvert la porte
en reconnaissant le droit des Etats
à « prendre des mesures pour proté-
ger leur identité culturelle ». Pour
M
me
Copps, c’est non seulement un
droit mais une « responsabilité gou-
vernementale » que de « soutenir et
protéger la culture canadienne ». La
diversité culturelle, ajoute la mi-
nistre, « comprend l’accès aux pro-
duits culturels canadiens », comme
les périodiques nationaux dont
l’avenir serait mis en danger si les
recettes publicitaires leur échap-
paient, du fait d’une concurrence
américaine insoutenable.
Les éditeurs canadiens sont favo-
rables au projet de loi, qui doit être
adopté avant juin, tandis que les
annonceurs s’y opposent. François
de Gaspé Beaubien, président de
l’association canadienne des édi-
teurs de magazines, défend avec
force un texte qui seul permet de
contrer la « concurrence déloyale »
des magazines américains. Ceux
qui publient, dit-il, des versions
pour le marché canadien n’ont
quasiment aucun coût supplémen-
taire à assumer et dégageraient une
marge de profit de 80 à 90 %,
contre 4 % à 5 % pour les maga-
zines canadiens. Ces derniers se-
raient du coup « les grands perdants
d’une inévitable guerre de tarifs pu-
blicitaires ».
Pour les annonceurs canadiens
– liés pour beaucoup à de grands
groupes américains –, le projet
constitue au contraire une « at-
teinte à la liberté et un refus de
compétition ». Même des indus-
triels canadiens de l’acier, du bois
et du textile sont entrés dans la
danse du lobbying intensif des ad-
versaires du projet lorsque les
Américains, accusant Ottawa de
« protectionnisme », ont lancé des
menaces de représailles écono-
miques pouvant représenter
610 millions d’euros de pertes pour
ces secteurs.
Avec les pressions des partisans
et des opposants au projet, les me-
naces de sanctions américaines et
la « guerre » de mots engagée des
deux côtés de la frontière, rien n’a
manqué pour soutenir l’intérêt de
ce feuilleton dont la fin n’est pas
programmée. Car même si la loi est
adoptée, Ottawa a concédé à Was-
hington un délai sans limite pour la
promulguer.
Jacques Lefebvre, conseiller au
cabinet de M
me
Copps, préfère par-
ler d’un « signe d’ouverture » des
Canadiens qui ont accepté de « dis-
cuter » du sujet avec les Américains
en février. Pour Ottawa, il ne s’agit
toutefois pas de « négocier ». L’op-
tion du gouvernement est « très
claire », ajoute-t-il. « C’est celle du
projet de loi, la seule qui permette la
survie et l’épanouissement d’une in-
dustrie culturelle comme celle des re-
vues à contenu canadien. Mais si le
gouvernement américain a une op-
tion miracle, nous montrons que
nous sommes prêts à l’étudier en
laissant en pointillé la date d’entrée
en vigueur de la loi. »
Appliquée ou non, cette loi, dès
qu’elle sera adoptée au Parlement,
sera une épée de Damoclès pour
les éditeurs américains. Ceux-ci
pourraient être condamnés à payer
154 000 euros pour avoir tout au
plus gagné 1 850 euros en revenus
publicitaires pour une version ca-
nadienne de magazine ! L’enjeu
pour les Américains n’est donc pas
une « histoire de gros sous », dit-on
du côté canadien, mais une ques-
tion de principe. Pour François de
Gaspé Beaubien, les Américains
« veulent montrer au monde qu’il n’y
a pas de revendications culturelles »
qui comptent, que tout n’est que
business. Mais si le « micro-David »
canadien tenait tête au « méga-Go-
liath » américain pour défendre ses
magazines, bien des pays du
monde pourraient alors « être ten-
tés de faire de même » en adoptant
des politiques de « promotion » de
leurs propres cultures, qui auraient
pour effet de limiter la liberté de
manœuvre planétaire à laquelle
tiennent tant les « complexes indus-
triels américains du divertissement ».
Anne Pelouas
L’édition nord-américaine
b Au Canada : le nombre de
magazines s’élève à 1 400, pour un
tirage total d’environ 500 millions
d’exemplaires. Ces journaux
dégagent ensemble un bénéfice
annuel de 40 millions de dollars
canadiens (24,7 millions d’euros).
En 1997, 92 % du contenu
rédactionnel et 93 % des
illustrations et photographies
reproduites dans les revues
canadiennes provenaient
de sources locales.
b Aux Etats-Unis : 14 000
magazines sont dénombrés. A lui
seul, People dégage un bénéfice
annuel de 350 millions de dollars
(380 millions d’euros).
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interactif
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Le Monde des
Livres :
recherches et
commandes parmi 400 000 ouvrages, enrichies
par 12 ans de critiques littéraires du Monde.
Le tribunal de commerce de Montpellier nomme un mandataire à « Midi libre »
MONTPELLIER
de notre correspondant
Claude Bujon, le PDG de Midi
libre débarqué le 24 octobre 1998
par son conseil d’administration,
vient de gagner une manche dans
la guerre juridique qui l’oppose au
nouveau président du quotidien
régional José Frèches. Avec une ac-
tionnaire du journal, Colette Walc-
ker, il a obtenu en référé du tribu-
nal de commerce de Montpellier,
mercredi 14 avril, la nomination
d’un mandataire chargé de convo-
quer d’ici à trente jours une as-
semblée générale des actionnaires.
Le tribunal a considéré que l’ac-
cumulation des procédures inten-
tées contre la nouvelle direction
« ne fait que démontrer l’existence
de conflits et de contestations sus-
ceptibles de compromettre le bon
fonctionnement de la société ». Il a
donc jugé que seuls les action-
naires sont à même de clarifier la
situation. Lors de l’assemblée gé-
nérale qui devra être présidée par
le mandataire, ils devront d’une
part confirmer ou révoquer les
actuels administrateurs, et d’autre
part se prononcer sur chaque nou-
velle candidature à ce poste.
D’ici là, José Frèches reste pré-
sident du journal. Le tribunal pou-
vait difficilement contredire une
décision qu’il avait lui-même prise
la semaine dernière. Le 7 avril, il
avait reconnu que les conditions
de cession des actions de Pierre
Fabre à José Frèches ne s’étaient
pas déroulées conformément aux
statuts du quotidien. Mais il avait
donné un mois à Midi libre pour
régulariser la situation de son pré-
sident, en estimant que prononcer
« la nullité des opérations visées
(risquait) d’être préjudiciable à (la)
société ».
Sauf rebondissement, l’heure de
vérité devrait sonner deux mois
avant l’assemblée ordinaire prévue
le 26 juin. Claude Bujon devrait
mettre à profit ce délai pour cour-
tiser les actionnaires indécis en
spéculant sur l’effet déstabilisant
que pourra avoir la décision du
tribunal.
Dans le même temps, l’offre de
rachat d’un proche de la famille
Bujon, Manuel Diaz, sur les ac-
tions des petits porteurs à un tarif
très avantageux (3 200 francs, soit
487,8 euros) reste valable. Claude
Bujon se déclare « très satisfait »
par la décision. « Je souhaitais arri-
ver à une assemblée générale dont
l’organisation n’appartienne pas au
conseil d’administration actuel »,
a-t-il affirmé.
« LA GUERRE BUJON-FRÈCHES »
Autre handicap possible pour
José Frèches : un risque de politi-
sation du débat autour de la direc-
tion de Midi libre. Dénonçant dans
l’hebdomadaire La Lettre M la len-
teur que mettait le conseil régional
présidé par Jacques Blanc à ache-
ter de la publicité au Grand Prix
Cycliste du Midi libre, M. Frèches
s’est récemment demandé si la ré-
gion Languedoc-Roussillon ne
traitait pas son quotidien comme
les associations culturelles mont-
pelliéraines, dont les subventions
ont été rejetées.
Toutefois, José Frèches voit une
victoire dans ce jugement, le tribu-
nal ayant refusé de mettre sous sé-
questre ses actions, et de le rem-
placer par un administrateur
provisoire. Il annonce cependant
qu’il va faire appel. « Je ne souhaite
pas qu’on fasse une assemblée de
comptage et de pugilat, explique-t-
il, alors qu’une assemblée générale
normale est prévue au mois de juin.
Si elle est avancée, je ne pourrai
même pas présenter mon rapport de
gestion, les comptes prévisionnels,
etc. Il n’y aurait à l’ordre du jour
que la guerre Bujon-Frèches. »
Pour le reste, sa reconduction ne
serait qu’une formalité. Estimant
incarner l’avenir, le développe-
ment et la paix sociale de son en-
treprise, M. Frèches affirme tou-
jours bénéficier du soutien d’au
moins 60 % des actionnaires, et
même « plutôt 80 %». Une affirma-
tion contestée par Claude Bujon.
« Imaginez-vous qu’Hachette puisse
voter pour Claude Bujon ? demande
José Frèches. Je n’ai aucune inquié-
tude sur son attitude, pas plus que
sur celle d’Havas, de Pierre Fabre, et
de toutes les familles qui m’ont porté
au pouvoir. »
Jacques Monin
Un nouvel organigramme
de l’AFP a été adopté
LE CONSEIL d’administration de l’Agence-France Presse, réuni mercredi
14 avril, a approuvé un « budget de reconduction » avec des comptes en
équilibre et une stabilité globale des effectifs. Le chiffre d’affaires est en
augmentation de 6,9 % avec la nouvelle filiale SID, à 1,36 milliard de
francs (207 M¤). Trente-cinq postes seront créés par redéploiement. Le
conseil a aussi adopté un nouvel organigramme : Denis Brulet, directeur
de l’information de l’AFP depuis 1996, est nommé directeur général ad-
joint chargé des produits, directeur de l’information. Fidèle du nouveau
PDG de l’agence, Jean-Pierre Tranchard, qui a travaillé avec Eric Giuily
chez Chargeurs, à la CGM puis chez BDDP, devient directeur général
adjoint, directeur de la gestion et de la coordination. Alain Boëbion,
secrétaire général de la rédaction de l’agence depuis janvier, prend la
direction de la rédaction.
a PRESSE : Le tribunal de grande instance de Paris a interdit à Prisma
Presse, mercredi 14 avril, de faire usage du titre Allo ! pour désigner son
magazine people lancé le 12 septembre 1998, et lui a donné un délai de
quatre mois pour abandonner ce titre. Le jugement déclare que Prisma
Presse a commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale au
préjudice de Hola, édité par un groupe espagnol, qui obtient un total de
1,5 million de francs de dommages-intérêts.
a Le groupe suisse Ringier, a réalisé en 1998 un bénéfice net en hausse
de 36,4 %, à 28,1 millions de francs suisses (17,5 M¤) et son chiffre
d’affaires a augmenté de 8,6 % à 895,2 millions de francs suisses
(560 M¤), a annoncé l’éditeur mercredi 14 avril.
a Les quotidiens Wall Street Journal et New York Times ainsi que
l’agence de presse Associated Press (AP) se sont vu décerner lundi
12 avril deux prix Pulitzer de journalisme chacun, a annoncé l’université
Columbia de New York. – (AFP.)
a Bayard Presse a vu son chiffre d’affaires progresser en 1998 de 6,7 %
à 2,36 milliards de francs (359 M¤) et a annoncé mercredi 14 avril avoir
renoué avec un résultat net positif de 10,6 millions de francs (1,6 M¤).
a RADIO : les résultats d’audience des radios, habituellement publiés
le 15 avril, sont reportés au mardi 20 avril. Médiamétrie a modifié son
système d’enquête : les 75 000 personnes testées sont interrogées sur
leur écoute dans les vingt-quatre heures précédant l’interview.
DÉPÊCHES
La presse d’extrême droite connaît des difficultés financières
L’HEBDOMADAIRE Minute a été mis en li-
quidation judiciaire, mardi 13 avril, par le tribu-
nal de commerce de Paris. Cette issue met fin à
de longues années d’existence à l’ombre du tri-
bunal de commerce. Le journal, né en 1962,
avait été repris en 1990 par Serge Martinez,
alors proche de Jean-Marie Le Pen – il est
aujourd’hui l’un des principaux lieutenants de
Bruno Mégret –, alors que le titre était déjà en
liquidation judiciaire.
Serge Martinez a perdu beaucoup d’argent
avant de le céder, en janvier 1993, à Gérald Pen-
ciolelli, ancien militant d’Ordre nouveau. Celui-
ci dépose rapidement le bilan du journal, en oc-
tobre 1993. Le journal est placé dans un premier
temps en redressement judiciaire, avant qu’un
plan de continuation ne soit élaboré, toujours
sous le contrôle du tribunal.
Devant les difficultés à assurer les échéances
de remboursement prévues par le plan, le tribu-
nal de commerce a placé à nouveau l’entreprise
en redressement judiciaire, au mois de février.
L’hebdomadaire avait lancé un appel à ses lec-
teurs pour récolter 2 millions de francs « pour
sauver Minute ». Dans l’édition du 14 avril, le di-
recteur de la publication, Patrick Boizeau, es-
time avoir reçu 436 000 francs. Aucun projet de
reprise n’ayant été présenté, le tribunal a pro-
noncé, mardi, la liquidation de l’entreprise. Le
journal peut toutefois poursuivre son activité
jusqu’au 20 avril.
UNE ÉVENTUELLE REPRISE DE « MINUTE »
Des plans de reprise du titre sont à l’étude.
Certains journalistes de Minute cherchent des
solutions. Le nom de René Trager, condamné
dans le cadre de l’affaire Urba de financement
du parti socialiste, circule – il était présent au
tribunal mardi –, de même que celui de l’ancien
propriétaire, Serge Martinez, pour permettre
un relais des idées de Bruno Mégret et contre-
balancer le soutien de National Hebdo à Jean-
Marie Le Pen. Serge Martinez – qui est resté ac-
tionnaire du journal et qui entend porter
plainte contre la gestion de M. Penciolelli – dé-
ment tout intérêt dans l’hebdomadaire, en esti-
mant qu’il a « déjà donné ». « Nous n’avons pas
beaucoup d’argent, nous comptons davantage sur
nos militants que sur un journal qui a perdu de
son influence », explique-t-il.
La liquidation de Minute intervient alors que
les principaux organes d’extrême droite
connaissent des difficultés. Présent a diminué de
moitié sa pagination, passant à quatre pages en
semaine. L’organe du Front national, National
Hebdo, est également dans une situation finan-
cière fragile. A ces difficultés récurrentes,
s’ajoute un problème politique : l’éclatement du
Front national. Présent ne prend pas parti dans
le conflit, désorientant certains lecteurs, tandis
que National Hebdo est resté fidèle à Jean-Marie
Le Pen, ce qui a entraîné le départ de son rédac-
teur en chef, Martin Peltier, et de l’éditorialiste
François Brigneau (Le Monde du 19 décembre).
Alain Salles
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