
LeMonde Job: WMQ1604--0030-0 WAS LMQ1604-30 Op.: XX Rev.: 15-04-99 T.: 09:05 S.: 111,06-Cmp.:15,11, Base : LMQPAG 28Fap:100 N
o
:0406 Lcp: 700 CMYK
Trois heures pour apprendre l’art du découpage
30 / LE MONDE / VENDREDI 16 AVRIL 1999 AUJOURD’HUI-MODES DE VIE
Le sushi dans tous ses états
Restaurants, mais aussi rayon frais des grandes surfaces
mettent à l’honneur les petits morceaux de poisson cru
C’EST L’ENDROIT à la mode,
celui qu’il faut voir et où il faut
être vu. Depuis le 5 janvier, date
de son ouverture, Lô Sushi, à
deux pas des Champs-Elysées, ne
désemplit pas. Autour du
comptoir roulant où défilent des
sushis – morceaux de poisson cru
posés sur des boulettes de riz vi-
naigré –, une moyenne de
500 personnes chaque jour jouent
des coudes. Au gré de ses envies,
chacun pioche ses assiettes. L’ad-
dition sera déterminée par leur
nombre et leur couleur.
Aménagé par la décoratrice An-
drée Putman, ce restaurant de-
sign reprend le concept populaire
du kaiten sushi, le comptoir rou-
lant. Il est la dernière idée de
jeunes restaurateurs, Laurent
Taieb et Alain Attal, qui ont adap-
té un modèle existant à Londres
et à New York. Lô Sushi apparaît
comme le symbole de la décou-
verte par les Français de la cuisine
japonaise. « En cette fin de siècle,
explique Rodolphe Bernier de Lô
Sushi, les gens ont envie de retrou-
ver une alimentation simple et ras-
surante. »
Les enseignes proposant de la
cuisine nippone ne cessent de se
multiplier. Et des endroits à la
mode, comme des bars de nuit,
en inscrivent désormais à leur
carte. Nourriture saine et diété-
tique, le poisson cru a d’abord sé-
duit une population soucieuse de
sa ligne et sensible à la culture
nippone.
Il touche maintenant un public
plus large, malgré un coût relati-
vement élevé. Keiko Hanano,
PDG de Sushi-Map, a contribué à
étendre ce phénomène. En sep-
tembre 1997, elle ouvre son pre-
mier lieu de restauration rapide et
divise par deux le prix d’un repas
à base de poisson cru. Elle dirige
aujourd’hui trois points de vente
dans Paris. Seuls 30 % des achats
sont consommés sur place, le
reste étant emporté. « Nous assis-
tons à la deuxième vague des res-
taurants japonais, estime cette
femme d’affaires. Les premiers ont
été implantés par des Japonais. Au-
jourd’hui, ce sont des Français qui
en ouvrent. »
La grande distribution n’est pas
en reste. Carrefour, Monoprix, la
Grande Epicerie du Bon Marché
proposent des sushis en rayon
poissonnerie ou libre-service.
Certaines enseignes n’hésitent
pas à créer des animations pour
encourager une dynamique et ac-
compagner la vente du produit.
Le petit plateau de poisson cru a
permis d’élargir la gamme des
plats préparés. Celui-là offre
l’avantage supplémentaire de ne
pas avoir à être réchauffé. Paral-
lèlement, l’offre de produits japo-
nais a été étendue à des kits sus-
his, du riz nippon, des feuilles
d’algues et des rouleaux de bam-
bou.
Monoprix a ouvert en rayon
traiteur ses trois premiers pla-
teaux de sushis dans son magasin
de Saint-Cloud, il y a un an. L’en-
seigne fait aujourd’hui cette pro-
position dans une quinzaine de
magasins. Les produits arrivent
chaque jour, à 11 heures et
17 heures. Deux rendez-vous at-
tendus avec impatience par les
clients qui font la queue.
A Monoprix, on parle d’en-
gouement. « Pour notre enseigne
très parisienne, cette offre est un
plus. Elle correspond à une mode,
mais aussi au besoin de sécurité
alimentaire des clients », précise
Jean-François Ferrec, chef de pro-
duits pour le rayon traiteur et la
restauration rapide en libre-ser-
vice. Il pense étendre l’offre aux
faux sushis à l’anglaise (à base de
poisson fumé), qui acceptent
deux jours de délai.
DÉFERLANTE JAPONAISE
L’art de la table a suivi le mou-
vement. Daimaru, magasin japo-
nais, n’est plus le seul sur ce cré-
neau. Habitat propose du
matériel pour confectionner ses
propres réalisations. Le magasin
Colette, prompt à saisir les ten-
dances, propose depuis six mois
des assiettes carrées et rectangu-
laires sur plateau. Même Chris-
tofle, enseigne traditionnelle par
excellence, a mis en vente pour
ses magasins au Japon de très
chics baguettes en ivoire ou
ébène qui sont un succès en Eu-
rope.
Le terrain avait été préparé
pour cette déferlante japonaise
dans les assiettes. En décoration,
les lignes n’ont cessé de s’épurer
depuis une dizaine d’années, jus-
qu’à l’apogée du style zen au Sa-
lon maison et objet en janvier.
Meubles ras le sol, couleurs
sobres, minimalisme des formes
ont fini par accompagner le tradi-
tionnel futon.
Mais c’est la mode qui avait ou-
vert la voie. Dès le début des an-
nées 80, des créateurs comme
Kenzo, Yamamoto, Comme des
garçons et Issaye Miyake, ont ap-
porté en Europe les codes du vê-
tement japonais. Les règles sont
simples : vêtements et lignes
lâches, longs manteaux qui rap-
pellent le kimono, dépouillement
des lignes. Au cours de la décen-
nie 90, le mouvement est amplifié
par des créateurs qui accentuent
encore l’aspect épuré, jusqu’à un
style qualifié de zen. Et au-
jourd’hui, Alexandre McQueen de
chez Givenchy et Jean-Paul Gaul-
tier proposent des collections qui
font référence à un Japon plus
traditionnel, avec des kimonos et
des tongs à semelles compensées.
Cet engouement pour la cuisine
nippone ravit mais amuse aussi
parfois les Japonais. La mode du
kaiten sushi n’attire pas les pu-
ristes. Au Japon, ces comptoirs
tournants sont réservés aux res-
taurants populaires et aux can-
tines. « Un bon cuisinier doit effec-
tuer les sushis devant le client,
explique Sachiro Hattori, qui di-
rige le centre culturel franco-ja-
ponais. Il doit réaliser un sushi qui
se mange en une seule bouchée, à
la dimension de la bouche de son
client. Entre le maître de cuisine
traditionnelle – qui est toujours un
homme – et le kaiten sushi, il y a la
même différence qu’entre la haute
couture et le prêt-à-porter. »
De la même façon, le saumon,
très utilisé en Europe, se
consomme peu cru au Japon.
Poisson de rivière, donc suscep-
tible d’être victime de la pollu-
tion, il est surtout grillé ou salé.
Le fait qu’un bon nombre de res-
taurants asiatiques se soient
transformés en restaurants nip-
pons pour bénéficier de l’effet de
mode fait craindre à certains que
les faveurs pour ce type de cui-
sine ne soient qu’un feu de paille.
C’est ce qui s’était produit pour la
cuisine mexicaine il y a une di-
zaine d’années.
Michèle Aulagnon
et Véronique Cauhapé
LIBRE de voitures en ce samedi matin, la place de
la Nation à l’est de Paris fait la grasse matinée. Les
passants sont encore rares, mais une dizaine de per-
sonnes, nez en l’air et plan à la main, s’engouffrent
dans le passage Turquetil. Ils se rendent au centre
culturel franco-japonais, installé dans une ancienne
menuiserie, pour leur premier cours de cuisine japo-
naise. Durant trois heures, munis de couteaux aigui-
sés et les doigts dans le poisson cru, ils seront les
élèves dociles d’un maître de cuisine traditionnelle
dont les oracles seront traduits par un interprète.
Mais le plus difficile ne sera pas le vocabulaire.
Tout est étrange. Le décor, volontiers minimaliste.
Les produits, comme le simple radis noir, appelé dai-
kon, qui sera tranché en fines lamelles transpa-
rentes. Le poisson, dont la peau doit être brillante et
l’œil encore vif. Aujourd’hui, c’est un chinchard,
poisson blanc, qui est livré aux stagiaires. Il faut lui
trancher la tête, le placer sur une planche à décou-
per, la queue orientée vers la gauche, découper trois
filets dans la chair, arracher la peau, enlever les
arêtes. Le chef, Bin Muto, effectue la démonstration
avec une facilité déconcertante. En tablier blanc, sa
femme lui fait passer les instruments et ramasse les
déchets tombés à terre.
« L’ART DE LA PRÉSENTATION »
Sandrine, trente ans, s’est déjà coupé un doigt en
attaquant le radis, mais poursuit sans hésiter. Elle
adore faire la cuisine, expérimente déjà chez elle des
plats exotiques, et s’est découvert une passion pour
le poisson cru. Son compagnon, Manu, « adore tout
couper » et impressionne l’assemblée avec ses fils de
poireau. Quant à Simon, directeur artistique de
trente-sept ans, c’est avec beaucoup de concentra-
tion qu’il enlève à la pince à épiler les arêtes du filet
de chinchard. Cet Anglais s’est fait offrir le cours de
cuisine nippone pour son anniversaire. Il est ravi
d’apprendre la technique du sashimi (poisson cru),
car il sait déjà faire les makis (sushi roulé dans une
feuille d’algue noire), « C’est très facile, c’est comme
rouler une cigarette. »
Les cours de cuisine organisés par Sachiko Hatto-
ri, la directrice du centre culturel franco-japonais,
ne désemplissent pas. Il n’y en avait qu’un par mois
en 1996. La cadence est désormais hebdomadaire et
il faut réserver des semaines à l’avance. « Ceux qui
viennent sont attirés par le goût du poisson cru, séduits
par une cuisine très saine qui exclut les graisses, et
veulent apprendre l’art de la présentation », explique
cette Japonaise qui a fondé l’Espace Turquetil. « Il ne
faut pas réagir avec notre tête d’Occidental, ajoute
Eric Lieveaux, un Français qui a vécu au Japon et
sert d’interprète pendant les cours. Le sushi, ce n’est
pas un morceau de poisson cru avec une boulette de
riz. Au Japon, on considère qu’il faut trois ans pour ap-
prendre à faire correctement du riz pour les sushis. » A
ces mots, les stagiaires se regardent d’un air déses-
péré.
Mais à midi, ils s’installeront autour d’une table
pour déguster leurs œuvres. Le repas leur aura coûté
180 francs plus les frais de marché. Certes, la présen-
tation laisse à désirer, mais le grand maître est plein
d’indulgence. Carole, trente-cinq ans, est restaura-
trice. Elle organise des soirées « à thème », comme
un repas cubain suivi de musique salsa. Une soirée
sushis, avant un cours de yoga, elle est persuadée
qu’elle aura des clients.
M. A.
夝 Espace Turquetil, centre culturel franco-japonais,
8-10, passage Turquetil, 75011 Paris, tél. : 01-43-48-
83-64.
Le chauvinisme gastronomique perd des points
LA MONDIALISATION est dé-
jà dans les assiettes et la curiosité
est devenue une qualité de gas-
tronome. Depuis plusieurs an-
nées, les Français que l’on croyait
attachés à leurs valeurs culinaires
traditionnelles découvrent avec
un bel entrain les charmes de la
cuisine exotique, que l’on appelle
désormais « cuisine ethnique ».
Cet appétit de nouveauté s’est
d’abord traduit par la multiplica-
tion d’établissements proposant
de la cuisine étrangère provenant
d’horizons lointains. On ne peut
plus, en effet, considérer les piz-
zerias et les restaurants chinois
ou maghrébins comme éloignés
de notre culture alimentaire. Dé-
sormais, la cuisine japonaise,
mais aussi tex-mex, thaïlandaise
ou brésilienne possède pignon
sur rue. A Paris, on estime que,
depuis 1995, les restaurants
étrangers dans leur ensemble
sont plus nombreux que les res-
taurants autochtones classiques
et servent quelque cinq millions
de repas chaque jour.
Dans un pays où l’on croyait
que le chauvinisme gastrono-
mique était un réflexe tenace, les
habitudes commencent à se mo-
difier. Les Français – qui
voyagent de plus en plus – ne
perdent pas une occasion de se
plonger dans l’ambiance dépay-
sante des restaurants exotiques.
Cette liberté gustative s’est éga-
lement diffusée à grande échelle
par le biais des plats cuisinés
« ethniques » qui, en quelques
années, sont devenus des spécia-
lités incontournables pour les in-
dustriels de l’agroalimentaire. En
1998, on estime que 40 % des
consommateurs français ont
acheté au moins une fois l’une de
ces spécialités. Avec la moitié des
ventes, les plats asiatiques ar-
rivent en tête devant les spéciali-
tés indiennes et tex-mex.
ÉLARGISSEMENT DE L’HORIZON
Selon une étude du cabinet
Présence marketing, ce marché
enregistre une progression an-
nuelle de ses ventes de l’ordre de
20 %. Contrairement à ce que
l’on pourrait imaginer, les ama-
teurs de ces spécialités ne sont
pas tous des yuppies célibataires
avant-gardistes, bien au
contraire. Les foyers acheteurs
de plats cuisinés ethniques sont
le plus souvent constitués
d’adultes âgés de trente à trente-
neuf ans, ayant deux enfants et
disposant de revenus de l’ordre
de 16 000 francs, alors que les
foyers sans enfants sont sensi-
blement sous-représentés. Ces
plats sont de préférence dégustés
en famille (dans plus des trois
quarts des cas), mais ils font ra-
rement l’objet d’un repas théma-
tique. Seule la cuisine chinoise
fait parfois l’objet d’une consom-
mation exclusive lors d’un déjeu-
ner ou d’un dîner. Globalement
satisfait, le public réclame toute-
fois davantage de choix parmi les
produits proposés au rayon frais
et plus de clarté sur les embal-
lages.
Cet élargissement de l’horizon
alimentaire (qui, notamment,
inspire des grandes toques
adeptes d’un métissage gastro-
nomique) est sans doute la
conséquence d’une crise du repas
traditionnel « à la française »,
avec sa structure en trois as-
siettes (entrée, plat de résistance,
dessert). Généralement conçue
autour d’un plat unique ou d’une
succession de petits mets, la cui-
sine exotique semble plus adap-
tée au mode de vie contemporain
et aux réticences grandissantes
qui se manifestent autour d’un
type d’alimentation trop contrai-
gnant.
Jean-Michel Normand
Lexique
b Dashi : bouillon clair préparé
avec du poisson.
b Gingembre : la racine est
utilisée fraîche, séchée ou en
poudre. Mariné dans le vinaigre,
le gingembre s’appelle gari.
Mariné dans du sel, c’est le
gingembre rouge.
b Kombu : algue noire, séchée,
présentée par plaques. Le nori est
très parfumé et se vend en
plaques, en petits rectangles ou en
lanières et s’utilise pour les sushis.
b Sashimi : poisson cru.
b Sushi : poisson cru avec du riz
cuit et vinaigré.
b Tempura : beignet de légumes
et de poissons.
b Tofu : nom japonais de la pâte
de soja.
b Wazabi : genre de raifort
que l’on vend en poudre
et qui doit être additionné d’eau
pour obtenir une pâte,
ou en tube. Il est servi avec
le poisson cru ou utilisé
dans les sushis.
b Yakitori : brochette.
MANFRED SEELOW/AGENCE TOP
Kommentare zu diesen Handbüchern